Donc voici que le grand jour approche, j’en ai déjà dit pas mal à propos des entraînements et des réflexions que ceux-ci m’avaient apportés et qui font que quoi qu’il arrive, ma saison sportive et personnelle est déjà une réussite.
Les quelques derniers jours n’ont pas été simples, ni pour moi, ni pour Valérie et Hadrien, la tension monte, les coups de stress s’intensifient, les humeurs oscillent plus vite que jamais. Chacun essayant de « prendre sur lui » pour impacter le moins possible les autres. Mais je vis dans une famille « d’éponges » et chacun absorbe les sentiments de l’autre, si bien que ce n’est pas facile. Pour ma part, je suis sur un nuage, absent, loin, et certainement peu relié à la réalité familiale de l’instant. J’en ai marre d’attendre, je voudrais y être, me sentir enfin libéré de quelques 7 mois de pression que je me suis infligés, le temps qui passe n’est que patience et tentative de repos. Mais si le corps est au repos, l’esprit lui n’y est pas. J’ai le neurone encore plus sautillant que d’habitude (c’est dire !), incapable de me concentrer sur quoi que ce soit qui ne soit pas une futilité. Impossible de lire, impossible d’avoir une discussion, impossible de faire quoi que ce soit d’autre que de penser, le plus souvent un peu dans le vide et surtout de façon très superficielle. J’essaye de rester connecté à moi- même, à l’instant présent, ma pensée est déjà ailleurs, mais elle n’y reste pas, les idées se bousculent sans cohérence aucune. Le soir, m’endormir est une vraie galère, les yeux fermés certes, mais le neurone en roue libre, toujours un truc à penser, un machin à faire, le plus souvent pour rien. La tête pleine de doutes, d’espoirs, d’attentes qui se télescopent les uns les autres, des pensées qui se contredisent, qui s’envolent, qui tournent à vide… Il est temps, vraiment temps que le départ soit donné.

Le vendredi matin, je descends seul en ville, chercher mon dossard faire un tour dans le « village » Ironman, tâter un peu de l’ambiance… l’ambiance est au mercantilisme, qui en aurait douté ? Mon budget étant particulièrement « à sec » je fais un petit tour pour regarder les produits proposés, mais je dépense très peu, une casquette, un magnet, c’est tout. Les souvenirs, seront dans ma tête et c’est très bien ainsi. J’attends mon rendez vous avec Jimmy qui apporte de Belgique le pain d’épice et ma sous- videuse qui vont me permettre de fabriquer mes ravitaillements personnels et surtout de me passer le plus possible de produits du sponsor que je trouve généralement beaucoup trop sucrés et écoeurants. Nous consacrons l’après midi à un tour en voiture en repérage du parcours à vélo… Magnifique ! Mais terriblement costaud. Hadrien se moque beaucoup de moi, il paraît que je radote, que je me répète, que les mots que je prononce le plus souvent sont, « ça va être dur, il va falloir gérer ». Je sors de la « cacahuète » de location un peu courbaturé de partout, je ne suis pas certain que 180km de conduite aient été la meilleure de mes idées, mais cela a permis à Valérie et Hadrien de profiter un peu eux aussi de ce parcours et de voir par où j’allais passer. Ca m’a permis aussi de visualiser un peu les difficultés du parcours. Ca n’a certainement pas permis de me rassurer, mes doutes sont encore plus intenses. J’ai beau me répéter que chaque fois que j’ai fait un col en voiture il m’a paru plus dur que quand je l’ai fait à vélo, le stress monte. Mais qu’est-ce qui m’a pris de venir dans cette galère ? Je passe la soirée à préparer mes sacs de transition dans la crainte aiguë d’oublier quelques chose. Si je devais échouer parce que j’ai oublié un détail , demeure ma pire crainte. Pour le reste je n’ai plus rien à perdre. Vivement dimanche matin !

La journée du samedi est consacrée à ne pas faire grand chose, à part déposer les sacs et le vélo dans le parc de transition. Se reposer, s’hydrater, manger correctement et tenter de ne pas se coucher trop tard. Depuis quelques jours je suis le plus scrupuleusement possible le régime établi par un nutritionniste du sport, mais je rêve de plus en plus de pâtés, de fromages et surtout d’andouillette… Depuis quelques mois , je décompte les jours avant la course, « J – », depuis quelques heures, le décompte a changé, c’est « Andouillette H – » qui a pris le dessus. Je m’octroie une entorse au régime, elle est indispensable, presque une superstition, avant de me coucher une demi Matildica partagée avec Valérie, une bière d’inspiration médiévale que j’adore et qui est devenue un rituel la veille des courses. C’est quand même nettement meilleur que les bidons de maltodextrine aux parfums chimiques de fruits soit disant exotiques que je siffle depuis quelques jours. Après un petit massage de détente, je m’endors presque bien pour une nuit convenable bien que trop courte. Le réveil sonne à 3h45.
Je me lève dans un monde parallèle, incapable de penser, la tête vide à la fois très calme et complètement bouillonnante. Je déjeune, prenant surtout le temps de bien boire et de manger lentement sans précipitation afin de digérer au mieux. Je vérifie une dernière fois ma « check list », il semble que je n’ai rien oublié. Valérie et Hadrien se lèvent… eux sortent de leur sommeil, difficilement, je sais à quel point se lever tôt est pour eux un effort, un véritable cadeau qu’il me font. Moi je suis complètement dans ma bulle, absent. J’essaye encore de faire mienne cette phrase que j’ai dite à Jimmy il y a trois ans, alors que pour la première fois il participait à un Ironman : « Prendre le départ de ce type de course est déjà un exploit ». Plus facile à dire qu’à faire. Mon cerveau dans le vague, je n’ai presque aucun souvenir concret des quelques heures avant le départ, seulement une ambiance, des impressions floues.

Machinalement j’installe les bidons de boisson sur le vélo, j’effectue les derniers préparatifs, le dernier passage aux toilettes, j’enfile la combinaison. Je passe devant Hadrien et Valérie, nous échangeons quelques mots, quelques larmes. Et je rejoinds mon box de départ. J’y retrouve Jimmy et Vincent mes camarades de club, nous échangeons peu de mots, pas grand chose, et pas vraiment de souvenirs non plus. Je suis ailleurs. Le départ des pros est donné, je ne m’en rends même pas vraiment compte. Je percute alors que les premiers sont déjà bien au large. La file avance, moi aussi. Puis soudain, un portique, une plage recouverte d’un tapis, la mer! Quoi déjà ? Je lance un dernier « bonne chance » aux copains et en plongeant je crie « Plaisir avant tout les gars ! ». Je suis dans l’eau. Sans même m’en rendre vraiment compte , je nage. Ca démarre bien, ça démarre à l’aise, sans forcer.

Rapidement je me concentre sur ma natation, il faut poser le rythme, pas trop rapide pour ne pas se brûler, pas trop lent non plus. Je sens que j’ai eu raison de m’entraîner régulièrement à la carrière de Lessines depuis que la météo printanière le permet, je suis à l’aise dans ma combinaison et dans mes mouvements, l’expérience paie. La mer est splendide, bleue turquoise, les vagues quasi absentes, juste une légère ondulation, j’ai le sentiment que c’est bien parti. Habituellement je démarre un peu trop vite et je dois adapter ma vitesse après quelques dizaines, voire centaines de mètres, cette fois ci non. La lumière se lève sur la montagne à ma gauche, et je nage confortablement. Chacun sa cadence et tous plus au moins à la même allure, personne ne semble gêner personne. Tout va bien. « Carpe Marem » comme diraient mes amis qui ont récemment réalisé une traversée de la manche en relais, je pense à eux, leur traversée devait être nettement plus chahutée que « ma » méditerranée matinale. J’écris « ma méditerranée » parce qu’à cet instant la mer est entièrement à moi, je suis seul dans mon effort qui reste très raisonnable, les 2000 autres nageurs n’existent pas. Seul face à moi même et à la longue journée qui m’attend et qui commence fort bien, je profite. Au premier virage qui marque aussi le premier km, je tente de jeter un coup d’oeil sur ma montre, pour avoir une estimation objective de ma vitesse. J’ai oublié d’enclencher le chronomètre au départ, j’ai même oublié de regarder l’heure exacte. Je nage depuis environ 20 minutes, mais est-ce plutôt 18 ou 22 je n’en sais rien, combien de minutes se sont écoulées entre le départ des pros et le mien ? Suis je dans le rythme que j’avais estimé ? Je n’en ai pas la moindre idée et de toute façon cela ne peut rien changer, j’ai le sentiment de bien avancer sans forcer. Je continue sereinement.

Au second virage, alors que comme toujours le paquet se resserre un peu et les vitesses diminuent le temps du tournant, un concurrent entre en collision avec moi. Je sens un visage qui vient heurter mes plantes de pieds, un nez et des lunettes qui s’écrasent. C’est probablement lui qui ayant fort peu apprécié ce contact, dont il est pourtant le seul responsable, vient me donner deux bons coups de poings au mollet droit et un dans la cuisse, avant de littéralement prendre appui sur mon épaule et me couler. Gloups, j’avale une grosse tasse, je perds mon rythme, je m’énerve. Le stress monte, fulgurant, intense. J’essaye de donner un peu de force pour le rattraper, il a pris 2 mètres déjà. Je ne veux pas lui rendre les coups mais au moins relever son numéro de dossard pour déposer une réclamation à l’arbitrage, par principe. Puis rapidement, j’ai l’impression qu’il refait avec un autre concurrent le coup de l’appui sur l’épaule , qu ‘il me « gratte » encore un bon mètre. J’estime que finalement je suis tombé sur « Le Gros Con » des 2000 participants, l’abruti, le tricheur, le sans fair-play… Bref le gars qui n’en vaut pas la peine. J’essaye de me calmer, de reprendre ma nage, de retrouver ma ligne droite, mes repères, la bouée suivante. Je peine un peu, je tente de me recentrer sur ma natation, sur le soleil qui se lève à ma droite, sur la plage qui approche. Faire redescendre les pulsations qui je le sens bien se sont envolées, reprendre le bon souffle, la bonne cadence, celle proche de l’état hypnotique qui permet de vraiment bien en profiter. A l’endroit des deux coups dans le mollet, voilà qu’une crampe vient me gêner, ce n’est vraiment pas le moment. Tout en nageant de mon mieux , j’étire un peu, ça passe, puis ça revient. Je me déporte vers le bord du paquet, histoire de pouvoir m’arrêter quelques secondes sans perturber les autres, masser un petit peu, remettre correctement la combinaison et repartir, penser à autre chose. A ma droite toujours le soleil, devant toujours la plage, ne rien penser d’autre que le bonheur d’être là. Je termine la première boucle, déjà 2400 m parcourus, un coup d’oeil à ma montre m’indique que depuis le km 1 ,il s’est écoulé un peu moins de 28 minutes. Malgré l’incident, je suis à « mon rythme de confort », 2 minutes par 100m, tout va bien et je retrouve vraiment mon calme. La seconde boucle se passe bien, sans histoire je me permets même le luxe d’accélérer sur les 300 derniers mètres, juste pour le plaisir. Je sors de l’eau content. Je ne connais pas mon temps exact mais je sais que je n’ai certainement pas mal nagé, quand je me retourne, je me rends compte que les derniers concurrents terminent seulement la première boucle.

A la transition j’ai choisi de prendre le temps de me changer complètement. La route va être longue, autant privilégier un tout petit peu le confort, en particulier aux fesses, plutôt que la peau, trop fine, d’une trifonction j’ai choisi d’enfiler un vrai cuissard et bien sûr les vieux gants de Gégé qui m’avaient déjà accompagné à Vichy l’année passée. Je ne les porte que lors des grandes occasions, mais jamais sans émotion, on s’en doute.
Je sors du parc à vélo calmement et je prends la route, l’Ironman peut vraiment commencer maintenant. Je prends un rythme raisonnable de cyclo-touriste sans forcer. Les pulsations me semblent d’emblée un peu trop élevées pour que je puisse tenir toute la journée, je laisse filer de nombreux concurrents plus rapides que moi, je profite de la « Promenade », des palmiers… Mon entraîneur m’a conseillé de rouler « aux sensations » plutôt « qu’aux pulsations » j’ai quand même réglé mon alarme à 128 battements par minute pour ne pas démarrer trop vite, bien décidé à adapter cette limite en fonction de mon ressenti et de la dénivelée du parcours, dans un premier temps et en tout cas tant que ça ne monte pas sérieusement c’est bien. A partir de l’aéroport, le tracé est vraiment moche jusqu’à la sortie de la zone industrielle, j’en profite pour me concentrer sur ce que je fais. Il faut manger un petit quelque chose toutes les 30 minutes environ, mais surtout boire toute les 10. J’ai toujours ce goût de mer et de sel en bouche, je bois plus que prévu, et surtout je bois probablement de trop grosses quantités à la fois. J’ai l’impression d’avoir soif. A l’approche du premier ravitaillement après seulement 17km, en à peine plus d’une demi heure, j’ai bu presque 1,5l c’est trop, mon tube digestif me le fait bien sentir, quelques crampes, quelques gargouillements intempestifs. Je décide de boire de plus petites quantités à la fois , quitte à boire un peu plus souvent. Ce choix s’avère judicieux, mon estomac se calme rapidement. Heureusement parce qu’approche la première côte. Courte mais raide, très raide même, Jimmy qui a déjà fait Nice m’avait prévenu. « Ne t’excite pas ce n’est qu’un mauvais moment à passer, ça se calme ensuite ». Et effectivement c’est « l’enfer pour les gros », je passe sur le petit plateau, le grand pignon, je me cale bien sur ma selle et j’attends le sommet. Je dépasse quelques concurrents qui sont à pied, un américain m’amuse particulièrement, il a la parfaite panoplie du triathlète professionnel, vélo de chrono full carbone qui doit valoir le prix d’une belle voiture, casque profilé avec visière intégrée, bidon dans le prolongateur… Mais quand je le dépasse il est tout rouge, et sa langue pend déjà disgracieusement hors de sa bouche. Jusqu’où ira t’il ? Je n’en sais rien, je ne le reverrai plus en tout cas.

La pente s’adoucit , la route s’élève doucement en un long faux-plat montant avant de descendre légèrement jusqu’au 50eme km environ. J’ai trouvé mon rythme, j’ai légèrement augmenté le niveau d’alerte de mes pulsations, mes jambes sont bonnes, elles tournent bien. Mon vélo fonctionne comme une horloge grâce aux réglages parfaits effectués par Rossano de Funbike, mon super mécano. Je profite du paysage, je profite surtout de mon entraînement car je ne subis pas la montée. Tout va bien, Carpe Diem. Un peu après le 50eme km, arrive le pied du Col d’Ecre. 20Km de montée quasi ininterrompue, pas extrêmement raide autour de 5% de moyenne. Mais 20km cela peut être long, très long même. J’augmente encore un peu le seuil d’alerte de mon cardio, je le règle sur 140 pour la montée… ça ne sert d’ailleurs pas à grand chose car rares seront les moments où je dépasserai 137 pulsations minute. J’essaye de rouler à puissance la plus constante possible, de continuer à m’alimenter et m’hydrater au mieux et surtout régulièrement. Je profite un tout petit peu moins des paysages que si j’avais été simplement en promenade parce que je reste concentré sur tous les paramètres de ma course. Jusqu’au ravitaillement de Gourdon à environ 7km du sommet tout va bien. Je gère, je profite, j’avance bien. Au ravitaillement, j’assiste en direct à une très belle syncope de la part d’un autre participant qui a pourtant le profil d’un grimpeur que je n’ai pas. La première ambulance, et un vrai signal, les conditions climatiques ne sont pas des meilleures, la chaleur est intense, il convient de rester prudent.

Je reprends la route. Je suis déjà passé deux fois sur le tronçon Gourdon – Col d’Ecre en voiture, la première fois en descente, les pourcentages m’avaient parus conséquents et difficiles, la seconde fois dans le sens de la montée et j’avais largement dédramatisé, un peu trop peut être. Sur le graphique du profil la route s’élève quand même plus sérieusement, les pourcentages dépassent 6 même parfois 7%. Il n’y a pas le moindre arbre pour s’abriter du soleil qui cogne sévèrement, je me sens moins bien, j’ai l’impression de me traîner comme un boulet. Mes jambes répondent mal et je ne parviens pas à maintenir le rythme. Je me rassure parce que manifestement je ne suis pas le seul à peiner vraiment, les autres ont l’air aussi mal que moi dans la fin de cette difficulté qui semble d’ailleurs ne pas vouloir finir. C’est vraiment difficile, une première petite crampe se fait sentir dans les quadriceps. Je mords sur ma chique, je masse, j’étire un peu. Je reste concentré sur mon hydratation. Pour la première fois , l’idée que je ne pourrai pas arriver au bout me passe dans la tête, c’est vraiment trop dur, il fait vraiment trop chaud. Qu’importe, je continue le mieux que je peux et enfin le sommet arrive. Je récupère le ravitaillement personnel, je mange un peu dans la trop courte descente, convaincu que je vais pouvoir me refaire une santé sur le plateau de Caussols. C’était sans compter sur Eole qui s’en donne à coeur joie, de face bien sûr. Heureusement cela rafraîchit un peu la machine, mais j’ai toujours l’impression de me traîner comme un boulet et de rester collé à ce fichu bitume. A Caussols, comme à tous les ravitaillements, je m’arrête quelques secondes pour remplir d’eau mes deux bidons, dans le premier je jette une pastille de sel de réhydratation, dans le second un sachet de la poudre de boisson sportive à laquelle je suis habitué. Ici je consomme une troisième bouteille, directement vidée dans le casque ça fait vraiment du bien. Encore un petit bout de descente puis la légère montée vers le Col de la Sine qui passe sans soucis, à peine un gros faux plat.

La bouteille dans le casque et la descente ont fait leur effet, je me suis rafraîchi, je me sens mieux, et arrive enfin la vraie descente vers Gréolières. Que du bonheur, la route est fermée, et je peux me lâcher dans la pente, sans excès mais en profitant vraiment de cet exercice que j’adore. Très vite arrive la côte de Saint Pons, celle dont tout le monde parle depuis quelques jours, que tout le monde appréhende parce qu’il faut relancer la machine après la descente, parce que les muscles ont refroidi, parce que mine de rien elle est longue et surtout parce que l’on a tous déjà presque 110 bornes dans les quilles. Je passe le petit plateau, je grimpe à mon rythme le regard rivé sur le virage suivant, espérant chaque fois que ce soit le dernier. Les arbitres qui m’ont semblé jusque là fort peu présents et relativement permissifs vis à vis de quelques « contre la montre par équipe » qui m’ont dépassé, sont maintenant presque absents. Personne, parmi les athlètes qui m’accompagnent maintenant, ne pense plus à tricher, chacun roule comme il peut dans l’espoir d’arriver le plus frais possible pour la dernière épreuve et la seule arbitre que l’on croise ,nous encourage, félicite, rassure comme elle peut sur le sommet qui approche. Je dépasse des cyclistes en promenade, ils ont l’air de profiter encore plus que moi, un sac sur le dos et la baguette du pique- nique qui dépasse, j’arrêterais bien tout pour les accompagner… Je les dépasse une seconde fois, quelques kms plus loin, à l’approche du Col de Vence dans le faux plat, parce qu’en plus, il y avait un raccourci !

Mes jambes ne sont plus que des automates, elles font encore avancer le vélo mais sans trop de force. Il est temps que ce parcours particulièrement exigeant en arrive à son terme. Une dernière côte, courte vers Coursegoules puis enfin la vraie descente vers Nice. Dans le village, les pompiers ont installé leurs lances sur le parcours, et l’on passe dans une douche fort rafraîchissante qui fait le plus grand bien, il y a 6h30′ que je roule, il reste environ 90 minutes de route majoritairement descendante. Je suis déjà à peu près certain de ne pas terminer le marathon, mais je continue comme ci de rien n’était à rouler au mieux. Je profite à fond de la descente, moi qui adore ça. Je soigne mes trajectoires, je roule vite, le vent me rafraîchit. L’effort étant nettement moins intense je recommence à y croire et tout cas je me donne pour y arriver. A l’approche du 140e km, au ravitaillement , le bénévoles m’informent que Fred Van Lierde vient de passer la ligne d’arrivée victorieux, l’entraîneur de mon entraîneur a gagné, tous les rêves sont permis. Je profite à fond des derniers km de vraie descente. A l’approche de Nice, on rejoint le parcours de l’aller, voici le retour de ce faux plat dans la zone industrielle. J’avance en automate, je mange, je bois, je mouline doucement sur mes pédales pour me préparer à courir. Mon temps total à vélo va avoisiner les 8h, un super temps pour moi compte tenu du parcours difficile, même si j’avais espéré faire plus vite encore. J’arrive à l’aéroport, il reste 5km et je longe le parcours à pied, cela me semble interminable, presque insurmontable. A vrai dire, je n’ai pas trop envie de partir courir, j’ai passé une bonne journée, je me suis bien amusé mais j’ai largement ma dose. En passant devant Valérie, je lui annonce que « je n’irai pas au bout de l’Ironman, mais j’irai au bout de ma vie »… Les mots ne sont pas vraiment les bons, elle qui est déjà inquiète pour moi n’est absolument pas rassurée. En fait ce que je pense vraiment n’est pas que j’irai au bout de ma vie, mais au bout de mon envie.
En transition, je suis un peu hors de ma tête, je me prépare méthodiquement mais sans me presser, convaincu de faire un tour, peut être deux à pied, pas plus. En enfilant les manchons de compression de mes mollets, l’un d’eux se déchire, usé jusqu’à la corde. Au moment où je suis prêt à partir, la tirette de ma trifonction casse, je me retrouve torse nu, sans espoir de pouvoir réparer. Sont-ce des signes ? Le règlement de l’Ironman, pudibond, exige que les tirettes soient fermées. Certes, le classement et donc une disqualification, je m’en moque complètement, mais je n’ai pas envie de me faire arrêter pour une bêtise. Je cherche des épingles à nourrice pour une réparation de fortune, un autre athlète m’offre les siennes. Je pars courir.

Sans la moindre force, ça ne fait pas particulièrement mal, mais mes jambes sont sans force, je cours lentement, mais je cours. Je me fais rejoindre par Thomas, le président de mon club. On échange quelques mots sympathiques, il me dit que pour lui aussi le parcours à vélo a été fort dur, même plus dur que la version précédente. Il rêvait un peu d’une qualification au Championnat du Monde à Hawaï, je sens bien à son rythme qu’il a laissé se rêve derrière lui et que son objectif est maintenant d’en finir avec ce 10eme Ironman de sa carrière sportive. Je le laisse partir. Il se contentera cette année de deux championnats du monde en demi et en quart. Chapeau bas l’artiste, et malgré les différents qui parfois peuvent nous opposer sérieusement, respect sportif inconditionnel ! Cette course est une folie, la faire 10 fois, je n’ose même pas imaginer ce que cela peut représenter.
Je suis ensuite rejoint par mon pote Jimmy, il me parle de ses troubles digestifs. Qui l’eut cru ? C’est sa spécialité. Comme toujours il n’est pas super satisfait de sa performance, mais il va terminer son 3eme Ironman avec brio. Je lui fais part de mon intention de ne pas aller jusqu’au bout. Lui y croit pour moi, il me pousse un peu, je cours encore un peu. Il me rappelle que je me suis entraîné plus que lui, parce que lui, il bosse beaucoup trop pour avoir le temps. Qu »importe, la motivation n’y est plus, seul compte le prochain ravitaillement, le prochain « spot de douche » pour me rafraîchir. Je ne cours bientôt plus du tout, je marche, relativement vite, mais le plaisir s’évanouit à vue d’oeil. Je termine ce tour et j’arrête. L’idée est bien accrochée dans ma tête. Le public est bien présent, le public encourage, le public me casse la tête, je n’ai pas envie de les entendre. Je veux bien courir encore un peu, mais seul dans les bois et par temps frais. En dehors de l’idée même d’une compétition, même si comme je le dis souvent quand je participe à une compétition, je ne la fais pas. Là je commence même à m’ennuyer. J’ai pris tellement de plaisir aux entraînements solitaires et introspectifs que la course qui en était le but n’est pas aussi amusante.

Au ravitaillement, tout me dégoute. Je parviens encore à avaler sans trop de soucis un de mes gels et à boire un peu. En particulier il y a un énorme tas de pâtes de fruits qui me retourne l’estomac. Les athlètes passent en courant ou en marchant vite , se servent sans s’arrêter, la sueur coule le long des bras, sur les pâtes de fruits offertes aux suivants… On voit clairement que de « l’eau » ramollit des bonbons déjà trop chauds. J’en ai l’estomac retourné. Beurk, ignoble ! J’ai l’impression de traverser ce ravitaillement et de vivre dans un monde parallèle, mon envie principale se focalise sur l’idée de rejoindre Valérie et Hadrien et d’aller manger quelques chose de convenable. Pas ces horreurs plein de sueurs. Je continue d’avancer, ma tête oscille entre l’idée, un peu orgueilleuse, de continuer, de ne pas abandonner et l’envie de m’arrêter tout de suite. Pendant quelques mètres je suis vaillant, j’avance bien, pendant les suivants je me traîne lamentablement au bout de mes forces et le cycle reprend.

Je croise Fabrice, mon coach, je l’informe que je vais arrêter là. Il essaye de me convaincre, il ne reste « que » 35km à faire et un peu plus de 5h, pour lui c’est jouable et tout est dans la tête. Il n’a pas forcément tort. Il parvient même à me convaincre de courir encore un peu… un tout petit peu, quelques mètres. Et ce n’est toujours pas la douleur qui me fait marcher à nouveau, juste l’inconfort, le manque d’envie. J’arrive au ravitaillement suivant, le même dégout, la même nausée. Je prends de l’eau, un biscuit salé. Beurk encore, j’ai envie d’andouillette. H- combien déjà ? H- 5 heures, c’est ce que Fabrice m’a dit. Non, 5 heures c’est définitivement trop, d’autant plus que des crampes digestives s’installent progressivement, la douleur devient souffrance. Je repense à cette citation de Huraki Murakami « Pain is inevitable. Suffering is optionnal ». « Se faire mal est inévitable, mais il ne tient qu’à soi que cette douleur devienne une souffrance. » Là j’atteints ma limite, la fin absolue de mon plaisir. Pour la première fois de la journée, je me demande ce que je fais là. J’ai besoin d’une toilette. Je ne marche plus, je erre sur le parcours à la recherche d’une cabine. Je passe devant Hadrien, je lui dis que je vais arrêter, il ne veut pas, il est déçu manifestement. Lui y croit encore, il me dit que je peux le faire. Lui qui gère la communication avec les amis tente de m’encourager comme il peut. Je vais me trouver une toilette et je décide… on verra, mais c’est tout vu. Je continue sur le parcours, je retrouve un peu de vaillance, je me dis qu’effectivement mon corps peut encore en faire un peu, que c’est ma tête qui ne veut plus, je mords sur ma chique. Je termine le premier tour, les toilettes sont dans la zone « after finish ». OK j’abandonne! Je rejoins cette zone d’arrivée, sans passer par l’arrivée.
Les toilettes sont loin, un parcours qui me semble interminable pour les rejoindre. J’avance lentement. En passant, je récupère mon sac de vêtements de ville, par cet acte, je signe définitivement mon abandon. J’ai récupéré mes vêtements, je ne repartirai plus. J’arrive aux toilettes, j’entre dans la cabine, je ne parviens pas à défaire correctement les épingles à nourrice qui ferment ma trifonction… de toute façon ce vêtement est mort. Je l’arrache, je pare au plus urgent, libérer mes intestins de leurs crampes. Je m’assieds sur le trône. Presque immédiatement mes crampes se déplacent, mes jambes ne sont plus que douleurs intenables. Mes muscles antérieurs et postérieurs sont totalement durcis, douloureux au possible. Il n’y a qu’une solution pour m’en sortir, étirer ces muscles, étendre mes jambes. En restant dans la cabine ce n’est pas faisable. J’ouvre la porte, à poil, et je m’écroule sur le bitume chaud. La douleur est intenable, je tends les jambes, j’étire, ça passe doucement. Je suis rejoint par quelques bénévoles de l’organisation et une kyrielle de jeunes kinés qui viennent convaincues que je fais un malaise. Non je n’ai pas fait de malaise, non je n’ai pas perdu conscience, non je ne suis pas déshydraté, non je ne suis pas en hyponatrémie…. j’ai juste des crampes, et je suis toujours couché, les pieds dans une toilette chimique, toujours à poil. La situation à plutôt tendance à me faire rire. Un des filles dépose alors mon sac de vêtements sur moi pour cacher mon intimité. Je suis toujours couché sur ce bitume chaud, je suis bien là, je ris encore un peu.
J’ai droit à la Croix Rouge, j’ai droit aux pompiers, je répète encore que je vais bien, à part les crampes, et que l’idée même de plier les jambes pour me mettre debout me fait peur. On m’aide à me relever, à remonter mon vêtement. Et lentement, comme un canard, je rejoins la file d’attente pour recevoir un massage qui atténuera peut être un peu les crampes. Assis sur une chaise, j’ai froid, de plus en plus froid malgré la température élevée. Mon système n’a pas encore réussi à réguler mon homéostasie, je grelotte vraiment, pourtant il fait toujours aussi chaud. Ma tension joue un peu au yoyo, je ne me sens pas vraiment bien. Ma tête résonne comme de l’ouate, je plane. Je demande une couverture de survie et par 35 degrés je m’emballe frissonnant. Rapidement ma température corporelle semble remonter et se stabiliser, je me sens mieux, assis je n’ai même pas mal. Je suis juste sur mon nuage. Content de ce que j’ai fait et content d’avoir arrêté à temps. Pendant que le kiné me masse et que je discute avec lui, je fais un premier bilan de la journée. Natation que du bonheur, sauf la rencontre avec le Roi des Cons. Vélo dur dur, sur ce parcours magnifique mais très exigeant, plaisir total. Course à pied laborieuse, la tête n’y est plus, le corps est à la limite. L’abandon, sage et logique… Je savais que c’était impossible alors j’ai voulu essayé. Sans le moindre regret.
Je vais rejoindre Hadrien et Valérie en dehors de la zone d’arrivée. Je suis aussi ému en les retrouvant que je pense que je ne l’aurais été si j’avais été au bout. D’ailleurs je n’ai peut être pas été au bout de la course officielle, mais j’ai été au bout de mon envie, de mon rêve et de mon possible. J’ai donc passé ma ligne d’arrivée personnelle qui ne sera marquée dans aucun palmarès mais qui me rend tout aussi fier du chemin accompli. Hadrien est un peu déçu, il tente de le cacher. Valérie est rassurée et me répète en boucle, comme pour m’en convaincre que j’ai bien fait de m’arrêter. Mais je n’en doute pas trop. Je me couche dans l’herbe, je savoure le moment, cool, longtemps. Je reprends doucement mes esprits. Et nous allons manger ensemble une pizza pour profiter en famille. L’andouillette est reportée au lendemain, elle n’en sera encore que meilleure. Je n’ai pas la moindre envie de rejoindre l’ambiance de la ligne d’arrivée pour voir le final des « derniers », l’ambiance « flon flon » ne m’attire pas, j’ai l’impression d’être au delà de ça et de n’avoir envie de le partager qu’avec les miens.

Quelques jours plus tard, je suis bien, je suis soulagé de tant d’efforts pendant 7 mois, je ne me lève plus le matin avec en tête, un « je dois aller… courir, pédaler, nager ». Je dors mieux que les quelques semaines qui ont précédé. Parfois le soir avant de m’endormir, je pense que je n’étais finalement pas si mal que ça à l’arrivée, que le lendemain je n’avais que très peu de courbatures et que donc j’aurais pu certainement aller plus loin, aller peut être même jusqu’à la « finish line ». Puis je me replace mentalement dans l’instant, je me revois pendant ma natation, sur mon vélo et durant ma course à pied, je repense à tout ça. Et je m’endors comme un bébé content d’avoir été par trois fois ce jour là, en voyage tout au bout de moi même. Depuis 16 jours, je n’ai quasi pas fait de sport, 3 petits tours à la piscine en mode ultra cool. Le vélo n’a pas encore été nettoyé, les baskets sont toujours là où je les ai laissées en rentrant. Et je commence tout doucement à me dire que j’irais bien courir ou pédaler, sans but, juste pour le plaisir de la nature et de l’été. Je le ferai peut être, demain, ou dans 2 jours… Carpe Diem !
Je ne pense d’ailleurs pas être le seul à être soulagé. On parle rarement de ce que peuvent vivre les supporters les plus proches des « malades » qui participent à ce genre de course. Pour avoir bien observé les miens et ceux de quelques amis qui se reconnaîtront certainement, je pense que l’épreuve Ironman n’est pas l’épreuve d’un jour, ni pour l’athlète qui s’entraîne longtemps, ni pour les supporters qui dans tous les sens du terme supportent. Eux aussi accumulent une certaine fatigue, si ce n’est physique certainement morale. Parce que pendant 7 mois, la vie de toute la famille n’est focalisée que sur une seule chose ou presque. Parce que avant d’entreprendre quoi que ce soit, il faut vérifier que c’est « Iron-compatible » que cela ne mettra pas en péril une indispensable sortie à la piscine ou de course à pied. Il faut aussi supporter les stress et les doutes qui peuvent être profonds, totalement imprévisibles et irrationnels. Il faut encaisser les culpabilités du genre « il y a 48 heures que je n’ai plus fait de sport », il faut ramener les pieds sur terre… Bref… Mille fois mercis encore à vous les supporters de près ou de loin, merci encore pour vos soutiens ,vos encouragements, les forces que parfois bien inconsciemment vous m’avez transmises. Mais merci surtout des millions de fois à Valérie et Hadrien d’avoir supporté tout ça ! Promis, j’en ferai plus… enfin je ne pense pas… plus d’Ironman en tout cas… J’ai déjà d’autres idées en tête.
A suivre…
Et tout ceci avec un vélo parfaitement réglé par le seul mécanicien qui ait le droit d’y toucher. Merci Rossano de Funbike.